AF et grève...

Bonjour,

est-ce que je peux poser une question à laquelle on essaye de répondre de façon dépassionnée ?

On entend que la grève est liée majoritairement au fait de devoir prévenir 48h à l'avance individuellement si on se met en grève ou non.

En quoi est-ce un problème ?

C'est le coté dépassionné qui va être difficile.
Nous avons eu 2 échanges passionnants avec Flying Nanard à ce sujet sans tomber vraiment d'accord. C'est le point de vue du passager (un peu excédé parfois et qui souhaite surtout arriver à sa réunion dans de bonnes conditions) vs celui du pilote (confronté à des choix stratégiques et techniques discutables de la part de sa direction). Les 2 positions sont défendables et on arrive assez vite aux problèmes de distorsion de la concurrence engendrés par notre belle Europe...
Les 2 faillites récentes de compagnies aériennes Européennes (Spanair et Malev) viennent illustrer que ce débat n'est pas seulement théorique.

En tentant de dépassionner au maximum la réponse j'ai tout de même l'impression que le problème dans cette compagnie est plus le climat actuel que cette histoire de préavis. Disons le concrètement, je ne comprend même pas comment une grève, quelque soit le secteur, l'activité, la société, ne soit pas obligatoirement déposée assez à l'avance pour que les gens s'organisent. C'est à mon sens, le minimum de respect que chacun doit avoir envers l'autre pour vivre en société. Ce débat est d'autant plus un prétexte que les grèves sont systématiquement prévues bien à l'avance par les syndicats (sauf exceptions, mais qui ne donnent pas en général les plus grosses grèves). Une grève de dernière minute ne gène pas tellement plus la direction qu'une grève prévue, au contraire. Elle prend juste en otage des milliers d'usagers qui ne peuvent plus se retourner et qui se retrouvent souvent très pénalisés, et ça, ceux qui en sont à l'origine se défendent d'en être responsables.

Je penche donc plutôt pour un très mauvais climat social dans ce secteur, avec des sociétés au bord de la faillite qui tirent sur tous les couts (et notamment salariaux), qui ont fait et feront encore surement des choix très discutables, et qui sont certainement plus tournées vers la rentabilité que vers le dialogue social (hors l'un va rarement sans l'autre).

M'enfin, je ne bosse pas chez AF ni une autre compagnie, donc ce n'est qu'un point de vue très extérieur.

Philippe Rozo a écrit:vs celui du pilote (confronté à des choix stratégiques et techniques discutables de la part de sa direction).

Philippe, je suis tout à fait d'accord là dessus et je ne pense pas qu'un préavis de 48h est un quelconque impact sur ce problème.

Alors... Je commence par quoi ?

D'abord, je ne suis pas un syndicaliste dans l'âme et je n'ai jamais fait grève en 10 ans de boîte.
J'ai toujours tendance à tout faire pour faire tourner la boutique.
Pourtant, cette fois-ci, je ne suis pas parti.
C'était pourtant mon dernier Seattle avec un super temps là-bas, le Cessna de réservé et des amis qui m'attendaient.

1) La loi sur l'obligation de se signaler gréviste 48 h à l'avance.. A la base, je suis pour. Je ne suis pas pour léser nos clients comme un crétin.
Mais en regardant plus loin, la presse oublie (sciemment ?) de révéler le pot aux roses...
D'abord il ne s'agit absolument pas d'une loi sur le service minimum. Une lecture du projet de loi (2 pages) le montre clairement.
Ensuite : Si on doit se déclarer 48 h avant, ça change quoi ?
C'est très simple : Il n'y a jamais guère plus de 30% de l'effectif engagé en même temps. Avec les cadres qui gréent les vols et un suivi inférieur à 60% les trois quarts du temps, la direction n'aurait aucun mal à trouver les quelques pour cents nécessaires pour remplacer ceux qui se seront signalés à l'avance.
Donc, on aurait toujours le droit de grève, certes, mais elle ne servirait plus à rien !
En clair, on nous enlève le seul contre pouvoir que l'on ait !
Je ne suis pas toujours d'accord avec nos syndicats (loin s'en faut...), mais nous retirer toute faculté de peser de quelque sorte que ce soit, c'est lourd ! Surtout que la suite DONT LES MEDIAS NE PARLENT PAS DU TOUT n'a pas tardé à venir :

2) Notre nouveau PDG a décidé de dénoncer la totalité de notre convention collective vendredi. Tout, c'est à dire la rémunération mais aussi les temps de repos (on se souviendra de ce que fait l'europe en ce moment en la matière), les règles de carrières, etc... Tout.
Même Christian Blanc en 93 n'avait pas fait ça.
En fait, cela n'est jamais arrivé dans une entreprise française de cet acabit.
La méthode est extrêmement violente.

Donc, pour résumer :
1) On nous détruit notre possibilité de nous opposer.
2) On casse notre contrat social.
3) Demain, une fois le décret d'application de la loi Diard voté, on peut ré-écrire ce contrat comme on veut sans que l'on puisse rien dire.

C'est pour cela que le gouvernement met le turbo pour que ça passe avant la fin de la mandature.
Il faut se souvenir que notre nouveau PDG est un proche du président. Tout ceci est bel et bien lié et savamment orchestré.
Cette loi, par ailleurs, est un fusil dirigé dans une seule direction : Les salariés.
Il n'y a aucune obligation pour les entreprises (dialogue social préalable, information aux passagers).
De plus, on prétend que la loi servirait à améliorer le dialogue. En fait, elle le détruirait.
Car en ce moment, à chaque fois qu'il y a préavis, comme la menace est sérieuse, il y a discussion. 4 fois sur 5, le préavis est levé.
Avec cette loi, on ne voit pas bien quel intérêt aurait l'entreprise de négocier avant de voir 48 h avant combien il y aurait de grévistes.
Cela obligerait chaque salarié à se prononcer au travers d'un acte fort pour qu'il y ait dialogue.
Ce n'est pas anodin. Nombre d'entre nous (je suis bien placé pour le savoir) se sont beaucoup interrogés pour savoir ce qu'ils allaient faire alors que la menace est vraiment très forte.
Peu de gens font la grève de gaité de cœur. On n'est pas (que) les nantis et imbéciles pour lesquels on veut nous faire passer.
On est très conscient des problèmes économiques du moment et tous ceux que je croisent sont tous des gens très responsables.
Sur des sujets moins brûlants que cette déclaration de guerre, peu se porteraient grévistes, la direction ne discuterait donc pas et tout serait figé.
Donc, le syndicat ne pourrait plus utiliser la menace de grève (sans pour autant rendre public un préavis) pour qu'il y ait discussion entre les partenaires sociaux.
Cette loi, c'est la fin de ce dialogue. Et comme cela a été dit, le climat social dans cette boîte n'est pas bon...
Par exemple, il n'y a eu absolument aucune concertation avant qu'on nous envoie ces deux missiles nucléaires. C'est du frontal et c'est voulu.
Du coup, on est les gros méchants.
Il est évident que les médias ne présentent pas le problème dans toute sa complexité...

Alors autant je suis d'accord que nos syndicalistes abusent parfois (et cela me consterne), autant les déposséder de leur moyen d'action est extrêmement dangereux pour la profession.
En outre, le devoir de réserve m'oblige à taire les actions nécessaires qu'ils ont conduit dans des domaines sensibles.

Alors, j'ai planté mon Seattle parce que je ne me voyais pas y aller pendant que les autres défendent mon bifteck.
Ce qui me rend le plus inquiet (et beaucoup partagent mon point de vue), c'est que la seule politique de notre entreprise consiste en la réduction des coûts et la restructuration.
Mais il n'y a aucun projet industriel offensif envers la concurrence ! Rien sur comment combattre les low-costs et Emirates, rien sur l'arrêt de la réception des ordres de l'état (On a ouvert Abu Dhabi en sachant qu'on ne s'y retrouverait pas et maintenant on va le fermer en ayant perdu des millions... parce que l'état le voulait).
Le canon est tourné vers les opérationnels, mais pas vers les administratifs en gros surnombre dans notre compagnie.
(Le ratio entre navigants et personnels sol à BA et LH est de 4/10. Nous sommes à 3/10. L'écart est énorme)
Pourtant... Notre salaire s'ajuste seul à notre activité. On a perdu environ 10 à 15 % cette année par le seul ajustement de l'activité.
Je ne trouve pas cela anormal, mais nous sommes les seuls concernés...
Certains ici savent ce que j'ai gagné avant de rentrer à AF. Cela ne m'a jamais choqué d'avoir des élèves qui gagnaient très bien leur vie.
De même, je pense qu'il doit y avoir des limites à la dérégulation sociale.

Enfin, je suis tout à fait d'accord qu'une grève fait du mal, que les passagers en souffrent (je peste moi même quand la SNCF fait chier) et tout ce qui nous détruit me fait profondément mal.
la question est : Doit-on accepter ce que l'on nous fait et ne rien dire ?
C'est la position que j'ai adopté pendant 10 ans.
Mais aujourd'hui, c'est beaucoup trop grave.

Bon allez, je vais arrêter parce que j'ai autant les boules de ce qu'il se passe que de ne pas avoir assuré mon vol...
(L'avantage d'un forum, c'est qu'on ne peut pas se faire envoyer de tomates dessus ou se faire casser la g......)

Philippe Rozo a écrit: C'est le coté dépassionné qui va être difficile.

Je vois, je vois !

Flying Nanard a écrit: (L'avantage d'un forum, c'est qu'on ne peut pas se faire envoyer de tomates dessus ou se faire casser la g......)

Ben tu vois, certains salariés font des haies d'honneur, pas de tomates à l'horizon !

http://www.europe1.fr/France/Air-France-les-salaries-s-invitent-au-CCE-942581/

La direction mise dehors

En signe de protestation, les salariés ont fait irruption en pleine réunion et ont contraint les membres de la direction à quitter la salle. Une journaliste de l'AFP a constaté des sifflets et des huées de la part de manifestants qui scandaient "on est chez nous, on est chez nous" et qui ont fait "une haie d'honneur" aux membres de la direction qui ont dû quitter les lieux.

Il n'y a pas qu'Air France :

La compagnie aérienne allemande Lufthansa prévoit d’économiser 1,5 milliard d’euros par an d’ici fin 2014 grâce à un programme de restructuration à grande échelle, qui passera par un « démantèlement partiel et une reconstruction » du groupe entier.

Sont visées au travers de ce démantèlement ses filiales, Austrian Airlines, Brussels Airlines, Germanwings, Swiss International Air Lines ainsi que d’autres filiales régionales et des partenaires. Pour économiser ses coûts et selon un article paru dans le journal interne à a compagnie Lufthanseat vendredi 10 février, elle va renforcer la coopération entre ces dernières afin d’éviter les lignes en doublon Parmi d’autres mesures, l’administration va être rationalisée avec des services comme ceux des achats qui seront centralisés.
Le cash libéré par ces mesures servira au renouvellement de la flotte, ainsi qu’aux ressources humaines (neuf milliards d’euros vont être injectés sur trois ans). Le chargé des relations, nommé Chritoph Franz, souligne notamment à l’attention des employés lecteurs : « Une chose est sûre, nous devons sortir de notre actuelle zone de confort », parlant de mettre sur la table des « sujets tabous en apparence ».
Aucun mot en particulier n’a été prononcé envers Austrian Airlines, qui a remis en route une seconde cure d’austérité valable jusqu’en 2014 , au vu de ses déficits que la première cure n’a pas réussi à combler. Des bruits de couloir font état depuis quelques mois d’un désengagement financier de Lufthansa, la maison mère, envers la compagnie autrichienne aux pertes récurrentes. Ce « démantèlement partiel » avant la « reconstruction » passera-t-elle par la sortie d’Austrian ? La question se révèle aujourd’hui encore plus d’actualité. (source : Air Journal).

Pour la dérégulation des règles du travail en Europe on dit merci à qui ?

Bon, allez, on élève des chameaux, des chevaux, et on continue à voyager :

Euh... Tu vas voyager en chameau, TOI ?

(pour ton prochain anniversaire, on va tous se cotiser pour t'offrir le kit du parfait bédoin... )

Par goût, ce sera plutôt à cheval.......

Un article émouvant et juste, trouvé grâce aux gamins sur FB:

http://afvueduncockpit.blogspot.com/2012/02/de-la-haut-la-france-est-toute-petite.html?showComment=1329070574838&m=1#c6934265970893186237

Excellent.
Il n'y a rien à ajouter.

Il dit qu'il n'est pas journaliste. Il a raison.
Il est plus écrivain, tant c'est bien écrit et c'est difficile à lâcher avant la fin.
Et en plus, ça dit très bien ce qu'on pense tous.